mardi 24 avril 2012

Alice Babs, Mlle Swing de Suède

La mouvance swing et la musique jazzy des grands orchestres de variété ont déferlé sur l’Europe au cours des années 30. En Suède comme ailleurs, les rythmes syncopés se sont vite imposés, et une toute jeune fille vive et charmante était là pour incarner non seulement une nouvelle façon de chanter mais aussi une nouvelle jeunesse : la souriante Alice Babs,
appelée à devenir une grande dame du jazz et
une des interprètes favorites du grand Duke Ellington.

Née en 1924 à Kalmar en Suède, Alice Babs a accompagné pendant ses jeunes années ses parents qui se produisaient dans des théâtres amateurs. Dès l’âge de 13 ans, elle recevait des propositions pour chanter dans des night-clubs de Stockholm que se famille a préféré décliner dans un premier temps. Après avoir suivi des cours de chant, elle se lance enfin à 15 ans dans les boîtes de nuit où son aptitude à chanter la tyrolienne aussi bien qu’à swinguer mélodieusement avec un soupçon de fantaisie lui vaut rapidement un succès certain. La musique américaine commence en effet à connaître un succès croissant sur les ondes, surtout auprès du public adolescent : les comédies musicales de Judy Garland et les grands orchestres de variété séduisent le public alors qu’en France commence à sévir la vogue « zazou ». Alice décroche un contrat avec une maison de disque (elle grave son premier disque en anglais en 1939 : the yodeling girl) et la firme cinématographique Filmindustri entend bien exploiter le jeune phénomène.

Dès 1940, Alice se retrouve en vedette de Mlle Swing et son professeur de Shamyl Bauman où, tout comme la toute jeune Judy Garland dans Everybody sing (1936), elle sème le trouble au collège en osant chanter du jazz et des onomatopées pendant les cours. Son prof de chant (Adolf Jahr) dont elle est secrètement amoureuse est son allié. Une intrigue simplette certes, mais le film exhale une réelle fraîcheur et candeur qu’on ne retrouve pas forcément dans les comédies musicales adolescentes un peu mécaniques tournées aux USA avec Mickey Ronney ou Deanna Durbin. Les chansons ressemblent à s’y méprendre à des succès américains du genre (le titre swing it magister présentant de fortes similitudes avec swing Mr Charlie de Garland). Aussi, on a du mal à croire que le film provoqua un vrai scandale à sa sortie chez les familles bien-pensantes, que la musique jazzy fut qualifiée de primaire et la jeune Alice traitée de petite garce tout juste bonne à "recevoir une fessée"! Il faut rappeler qu’avant-guerre la Suède était un pays très strict et très conservateur, et que les pasteurs exerçaient encore un véritable ascendant sur la vie des citoyens. Cependant le buzz sera finalement très profiteur, et le film sera distribué avec succès dans plusieurs pays d’Europe, chose rare à l’époque !

Les professeurs en vacances (1942) nous narre la suite des aventures de l’attachante Mlle Swing : un film qui ne casse pas trois pattes à un canard, mais se regarde sans souci avec ses personnages cocasses. Vocalement, les prestations sympathiques (notamment une variation swing de la barcarolle des Contes d’Hoffmann) d’Alice rappellent un peu celles de notre Irène de Trébert nationale à la même époque. Toujours en 1942, Alice joue dans En trallande jänta une gentillette orpheline qui grâce au soutien du pasteur et de tout son village devient chanteuse à Stockholm. C’est gentillet, mais ce type de spectacles est très apprécié pendant cette sombre période. En 1944, elle est pilote d’avion pour les besoins du film Ornungar : titulaire d’une licence, la chanteuse n’a pas besoin d’être doublée par les scènes de vol. Elle interprète aussi un hymne au drapeau suédois, moment patriotique bienvenu pour remonter le moral des suédois. La même année, la jeune vedette se marie : la naissance de ses trois enfants va un peu ralentir sa carrière (On la retrouve néanmoins dans le film la chanson de Stockholm (1947)).

En 1949, déjà au faîte de sa gloire dans son pays, elle entame une carrière internationale en se produisant au Festival de Jazz de Paris, où l’on peut constater qu’elle a fait pas mal de progrès depuis ses débuts.
Les critiques ventent « sa voix pure et merveilleusement timbrée ». Elle assure le doublage du dessin animé Cendrillon pour la Suède en 1950. A partir de 1953, la chanteuse se recentre sur le cinéma, notamment aux cotés de Povel Ramel, talentueux et facétieux chanteur et auteur de revues. En 1954, elle fait une tournée en Allemagne ou son répertoire composé de tyroliennes et d’airs jazzy cadre totalement avec les goûts du public : elle décroche un contrat avec une maison de disques, un premier tube en allemand (ein mann musst nicht immer schon sein) et un rôle secondaire dans un film « la rhapsodie suédoise » avec Maj-Britt Nilsson et Karlheinz Böhm. Parmi ses tubes allemands figurent notamment une version de Lollipop et de you send me de Sam Cook. Je leur préfère sa version jazzy de la chanson du film Tunnel of love de Doris Day, où l’aisance de son interprétation et sa voix mélodieuse font merveille. De retour en Suède, Alice regagne les bancs de l’école dans un musical estudiantin : mais ce n’est plus elle l’élève gentiment délurée : elle enseigne à présent (Mlle Swing et son élève 1956).

En 1958, Alice représente la Suède à l’eurovision : en costume traditionnel, elle ne joue pas la carte de la nouveauté. Pourtant, c’est en reprenant un veux tube qu’elle avait déjà gravé en 1939, qu’Alice remporte un succès en Grande Bretagne en 1963, en pleine révolution musicale : il faut dire que sa version aérienne et gentiment décoiffante d’After you’ve gone est dans l’air du temps (43ème au top anglais). La même année, Duke Ellington la remarque à la télévision, il est séduit par sa voix, et ne mâche pas ses mots : « le rêve de tout compositeur, l’artiste la plus unique qu’il connaisse » selon ses dires. La chanteuse va désormais l’accompagner lors de la plupart de ses tournées en Europe jusqu’en 1973. Le fameux compositeur, très inspiré par la religion, consacrera les dernières années de sa vie à des concerts de musique sacrée, avec Alice pour interprète féminine.

 Après le décès du maître, Alice souffrante se retire sous la Costa del sol, à Marbella plus exactement où elle réside depuis 1973 où elle se consacre à des activités religieuses (son ami Duke Ellington l’ayant rapprochée de la foi) et à des parties de golf. Mais le virus du spectacle ne l’a pas quittée et à 74 ans, elle a fait un come- back inattendu en sortant un album après 18 ans de silence ! En 1998, des concerts à guichets fermés dans les grandes villes de suède ont permis à un jeune public de redécouvrir une légendaire artiste, toujours très en voix. Depuis, Alice est retournée sur la Costa del Sol : il paraît qu’elle adore le flamenco et Paco de Lucia, et s’occuper de ses 9 petit enfants.

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