dimanche 8 mars 2009

Marion Davies, favorite d'Hollywood






Dans Citizen Kane, un des plus grands classiques de l’histoire du cinéma, Orson Welles présente un portrait au vitriol du magnat de la presse William Randolph Hearst. Sa compagne est dépeinte sous les traits d’une cantatrice nulle et alcoolique, imposée par son riche protecteur…Cette charge très corrosive (et fort brillante) portera longtemps lourdement préjudice à Marion Davies, la maîtresse de W R Hearst. Beaucoup de cinéphiles n’ayant jamais vu ses films, en déduiront que c’était une comédienne sans aucun talent, uniquement imposée par son richissime compagnon. La rediffusion de ses films sur TCM ou dans les cinémathèques nous oblige à réviser complètement ce jugement : c’était en fait une fantaisiste extrêmement douée au jeu très moderne, la toute première actrice de « screwball comédies » juste avant Carole Lombard.


Née en 1897, la jeune Marion Davies commence sa carrière comme girl dans différentes revues de Broadway, notamment les fameuses « Ziegfeld follies ». C’est en assistant à un de ses spectacles que WR Hearst aurait eu le coup de foudre et se serait entiché de la toute jeune femme (d’autres versions laissent entendre qu’en fait, Marion était une simple prostituée que Hearst aurait cueillie sur un trottoir de New York, afin de lui proposer quelques figurations dans des revues, mais ceci paraît fort peu vraisemblable). En tous les cas, une chose est certaine. Cet homme d’âge mûr, déjà marié, est tombé instantanément sous le charme de la jeune femme. Son épouse refusera toute sa vie de lui accorder un divorce. Néanmoins, quand cette dernière refuse de le suivre en Californie où il décide d’installer ses bureaux, c’est Marion, qui va partager sa vie.



Hearst est bien décidé à en faire de sa dulcinée la plus grande star de cinéma. ( Cette dernière a déjà joué dans quelques films réalisés par son beau frère).Il monte pour elle la firme de cinéma « Cosmopolitan », et produit une série de films historiques à costumes pour lesquels il ne lésine pas sur les dépenses. Malgré l’énorme battage publicitaire mis en route (obligation est faite à tous les journaux de son groupe de mentionner le nom de Marion une fois par semaine !), le public n’accroche pas.


Ce n’est qu’en 1922 que « sur les marches du trône » devient le premier succès commercial de la comédienne. La même année, la star fait beaucoup parler d’elle mais pas dans les journaux détenus par Hearst. Lors d’une croisière sur le yacht de son riche protecteur, le producteur Thomas Ince trouve la mort. La rumeur prétend que Marion Davies flirtait avec Charlie Chaplin, présent sur le navire. Fou de jalousie, Hearst aurait tenté de tuer l’acteur avec son revolver mais abattu par mégarde Thomas Ince. La journaliste Louella Parson, témoin du drame, aurait accepté de se taire en échange d’un poste en or au sein des journaux Hearst, et serait ainsi devenue la plus célèbre échotière d’Hollywood. On ne saura jamais si cette légende noire, véhiculée dans Hollywood Babylon est réelle, mais elle a certainement participé à ternir la réputation de l’actrice : En 1924, toujours désireux d’apporter plus de prestige à la carrière de son amie, Hearst signe un contrat avec Louis B Mayer, Irving Thalberg et la toute nouvelle MGM. En échange de la lucrative publicité qui sera faite dans les journaux du groupe à tous les films qu’elle produira, la firme du Lion accepte de distribuer dans ses salles les films de la comédienne et de la faire jouer aux cotés des plus grandes vedettes masculines de la firme.



Hearst a un faible pour les mélodrames romantiques. Dans Quality street -la galante méprise(1927), Marion campe une jeune fille amoureuse d’un beau militaire. A son retour de guerre, elle a tant vieilli qu’il ne la reconnaît même pas. Ce film, le seul ressorti en DVD, possède un charme suranné : Marion est touchante mais parvient à insuffler un peu de fantaisie dans cette romance désuète. C’est pourtant dans les comédies réalisées par King Vidor que Marion va prouver toute l’étendue de son talent. Elle est irrésistible dans Mirages (1928) une satire de la faune hollywoodienne ou dans the Patsy (1929) adorable comédie sur une jeune fille qui tente tout pour attirer l’attention de l’homme quelle aime. Quelle modernité dans le jeu de la comédienne ! Loin des femmes fatales, tendres ingénues, nobles dames ou autres stéréotypes du cinéma muet hollywoodien, Marion incarne des femmes indépendantes et futées, pas vraiment jolies mais tellement plus proches de nous. Outre ses désopilantes imitations d’autres stars de l’écran comme Lilian Gish ou Pola Negri, l’actrice révèle en effet une étonnante vitalité, et une présence indéniable.



S’agissant des imitations, Marion ne manquait pas d’entraînement : on raconte qu’elle faisait tordre de rire les convives de sa luxueuse villa de San Simeon où elle organisait des bals masqués prisés par le tout-Hollywood (j’ai pu visiter cette villa lors d’un voyage aux USA, au programme de nombreux circuits organisés. Les tapisseries et meubles de très grande valeur qui décorent les pièces sont assemblés et entassés avec beaucoup de mauvais goût. En revanche, les chambres d’amis sont nombreuses et la piscine est superbe (peu utilisée en dehors de Marion car beaucoup de stars ne savaient pas nager et préféraient la pataugeoire !)Beaucoup pensaient que Marion Davies ne pourrait faire face à l’arrivée du cinéma parlant car elle bégayait. Néanmoins avec l’appui de son mentor, la comédienne va franchir le cap sans difficultés. Marianne (1929) son premier film parlant est une comédie musicale, où elle tient le rôle d’une française et chante avec l’accent de chez nous.



La même année, elle fait un beau numéro de claquette dans un passage de la grande revue « Hollywood chante et danse » (1929) et prouve qu’elle n’a rien perdu de son expérience des Ziegfeld follies.Comme suite au triomphe du fou chantant et de Broadway Mélody, les studios de cinéma vont mettre en chantier un très grand nombre de films chantés et dansés, afin de capitaliser sur le nouvel engouement du public : Marion va ainsi en tourner 3 d’affilé. En fait, le coup de foudre sera de courte durée et déçu par la médiocrité de certains musicals, le public se détourne quasi systématiquement des films chantés en 1930 (on était même obligé de préciser sur l’affiche ; film non chanté !). Dès lors, deux films avec Marion (dont un en technicolor bichrome) ne seront même pas distribués.



En 1932, dans la comédie Blondie of the follies, Marion se livre à une fabuleuse parodie du jeu outré de Garbo dans Grand hôtel : délectable pour les cinéphiles.1933 est l’année du grand retour en vogue et pour longtemps de la comédie musicale avec les féeriques chorégraphies de Berkeley et les débuts à l’écran de Fred Astaire. Marion tourne dans Au pays du rêve, un grand musical qui tente de dupliquer la splendeur des numéros de 42ème rue. 70 ans après, on se souvient surtout des chansons du crooner Bing Crosby.


En 1934, c’est le clash avec la MGM. Furieux d’apprendre que le rôle tant convoité de Marie Antoinette sera confié à Norma Shearer, l’épouse d’Irving Thalberg, Hearst claque la porte des studios et entraîne Marion à la Warner Bros, où elle va terminer sa carrière, sans trop d’éclats.Elle joue dans deux comédies musicales : Betsy (1936), insipide romance située à l’époque napoléonienne avec Dick Powell (qui aurait peut être eu une liaison avec l’actrice à la grande fureur d’Hearst)et Caien et Mabel (1936) avec Clark Gable où elle chante (très moyennement) une rose aux cheveux, reprise chez nous par Elyane Celis.

En 1937, Hearst qui connaît de graves soucis financiers n’a plus de temps à consacrer à la carrière de sa maîtresse. Juste retour des choses, Marion Davies va vendre une bonne partie de ses bijoux pour aider l’homme de sa vie. Depuis déjà quelques années, l’actrice déçue par une série de désillusions (alors que Mme Hearst accepte enfin l’idée d’un divorce, le magnat de la presse aurait refusé, la pension alimentaire lui paraissant trop élevée), noyait ses chagrins dans l’alcool et sa beauté (qui n’avais jamais été très grande) se fanait . Evidemment, elle est terriblement affectée par la sortie du film Citizen Kane que Hearst tentera d’interdire, et va continuer à veiller sur la santé déclinante de son compagnon jusqu’à son décès en 1951. Le choc sera alors rude, l’épouse du magnat de la presse et sa famille vont chasser Marion de San Simeon du jour au lendemain et reprendre tout ce qui appartenait à Hearst (sauf le portrait de Marion !). Complètement déboussolée, Marion se marie 3 semaines après avec un marin rencontré depuis peu. Oubliée, elle est décédée d’un cancer en 1961.


Un documentaire sorti récemment sur DVD et présenté par Charlize Théron réhabilite la comédienne, en proposant de nombreux extraits de ses films (dont ses savoureuses imitations). Il révèle une femme sensible et généreuse (en 1926, elle avait demandé à Fatty Arbuckle de réaliser son film « le moulin rouge » pour essayer d’aider le comédien, rejeté par Hollywood à la suite d’un scandale sexuel ; en 1950, elle était sortie de sa réserve pour défendre Ingrid Bergman, traînée dans la boue par les journaux lors de sa liaison adultère avec Rossellini), et une admirable comédienne (certainement une des meilleures des années 20) dont les qualités justifieraient amplement une réédition en DVD.





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